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LA PRESSE
Après la convergence, la divergence
Hervé Fischer


Après le culte de la diversification des entreprises et son échec, il y a quelques années, nous venons de découvrir à l'opposé la convergence. Et la crise n'est pas encore terminée que déjà le retour en puissance des technos et des télécoms s'annonce inversement sous le signe de la divergence.

La convergence appelait à l'amalgame des médias et des contenus, suggérant des plans d'affaires intégrant tuyaux, logiciels multifonctionnels et contenus, la télévision, le téléphone, l'Internet, le cinéma, la musique, l'édition, les journaux, l'éducation et le commerce électronique selon le modèle AOL-Time Warner, qui s'est répandu et amplifié comme une épidémie. Généralisant la logique d'une utopie technologique, elle a prétendu que les usages sociaux seraient convergents eux aussi, donnant naissance à un prétendu homo convergens infatigablement branché sur tous les écrans de la vie. De ce mythe de l'unité qui a inspiré un élan euphorique, métamorphosant nos C.E.O. en demi-dieux, Vivendi Universal demeurera un symbole de grandeur et de décadence, comme aussi le pas de danse de Jean-Marie Messier, funambule du financement imaginaire. Le fantasme entrepreneurial avait superbement rationalisé ses modèles et plans d'affaires. Mais l'artiste n'a pu éviter la chute.

Le réveil est brutal, et la démission de Steve Case, l'artisan de la fusion AOL Time Warner en janvier 2002, après celle de Jean Monty, de Jean-Marie Messier, et de plusieurs autres présidents de grands groupes européens bâtis sur le même modèle de la convergence, prend valeur symbolique de cet échec. Faut-il alors se venger du rêve devenu cauchemar en ironisant sur la révolution du numérique qui n'aurait été qu'un bref spectacle de paillettes et condamner les demi-dieux déchus? Bien au contraire.

Non seulement les médias, mais aussi la technoscience, nouveau moteur de notre histoire, et toutes les innovations du kaléidoscope des activités humaines sont désormais de plus en plus asservies aux ordinateurs. Et après la crise, qui a entraîné une restructuration et une consolidation de nos industries numériques, il est permis de prévoir que les technos et même les télécoms vont reprendre de la vigueur dès 2003 en Amérique du Nord et en 2004 en Europe.

Certes, le retour du principe de réalité est souvent moins spectaculaire, mais il peut être aussi soudain et plus durable. Une fois la convergence démystifiée, les entreprises redécouvrent les spécificités des médias, qui ne peuvent pas être mélangés comme une soupe de légumes pour constituer un média supérieur, convergent et universel qui additionnerait les vertus de chacune de ses parties. Les médias sont comme les langues et les arts: ils s'influencent, mais la force réelle de chacun, aussi bien culturelle qu'économique, est dans l'exploration de sa spécificité et de sa différence.

Un livre n'est pas un site Web, pas un e-book. Radio et télévision ont triomphé en s'éloignant l'une de l'autre. Un journal en ligne n'aura bientôt plus rien à voir avec l'esthétique, les contenus, les fonctionnalités et les vertus d'un journal papier. Ne pas le comprendre, c'est succomber à la pensée magique et courir à l'échec.

Les nouveaux plans d'affaires vont donc reprendre en compte le principe incontournable de la divergence des médias et de la spécificité de leurs contenus et de leurs usages sociaux. Et n'est-ce pas beaucoup mieux ainsi? Même si de prime abord la fragmentation séduit moins notre imaginaire que l'unification, pourquoi renoncer à la diversité et à la richesse de chacune de ces industries culturelles? Et les futurs médias numériques, qui ne seront certainement pas la synthèse fade des précédents, sont encore à inventer.

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