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La Convergence du cybermonde tiendra-t-elle ses promesses?

Par Hervé Fischer *

La convergence est à la mode. Vivendi Universal y joue son avenir et les attentes de ses actionnaires à coups de milliards. Elle est célébrée par les grands marchés du multimédia tels le dernier Milia de Cannes, dans la foulée du MIM de Montréal. Telle une formule magique, elle inspire les plans d'affaires des plus grandes compagnies et même les nouvelles " sciences de la vie ". Elle suscite des investissements majeurs, financiers, politiques et même épistémologiques. Mais tiendra-t-elle ses promesses? En quoi est-elle plus sûre que la tendance précédente, qui prônait au contraire la diversification?

Car il y a 20 ans, c'était au contraire la diversification qui était à la mode! Dans un cycle de crises économiques à répétition, les grandes entreprises voulant se protéger se constituaient en holdings, tels les groupes japonais actifs dans une multiplicité de secteurs : bio-technologies, transports, agroalimentaire, marques de voitures, téléviseurs, ordinateurs, aspirateurs et journaux, ou chaînes de télévision. Plusieurs multinationales se sont maintenues comme telles; mais beaucoup d'autres, après des échecs retentissants de cette diversification, ont revendu à perte ce qu'elles maîtrisaient mal.

Aujourd'hui, la mode s'est donc inversée: on ne parle plus que de convergence. Ce nouveau paradigme domine partout , puisque nous sommes désormais sous le signe de la globalisation, de la mondialisation et qu'il est de bon ton de fusionner. Le coup d'envoi historique a évidemment été le rachat de Time Warner (12,6 millions de clients) par A.O. L. (25 millions d'abonnés) le 10 janvier 2000. Cette même politique a été adoptée par Microsoft ou Disney, aussitôt suivis par tant d'autres, tels BCE, Rogers, Québécor au Canada ou Vivendi-Seagram-Canal+ en Europe.

On doit beaucoup cette idée de convergence aux technologies numériques. C'est en effet la première fois que toutes les technologies, de production, de post-production et de diffusion pourraient devenir un vaste champ de communications multimédia et interactif, commun à l'informatique, aux télécoms, à l'Internet, à la télévision, à la radio, au cinéma, au jeux vidéo, etc. Cette convergence numérique permettrait de prendre le pouvoir sur des grands marchés internationaux, bref de créer des empires commerciaux, de réduire les coûts et de recycler les contenus. La chose est sérieuse, puisqu'on prévoit 1,2 milliard d'Internautes en 2003.

Rien ne résume mieux cette tendance à la convergence quasiment magique que l'hyper-connectivité dans la vie domestique, grâce à des procédés comme Bluetooth, qui nous annonce le lien intelligent entre le toaster, l'eau du bain, la porte de garage, le contenu du frigidaire, la programmation télévisuelle, la veille médicale, la gestion financière, et la puce électronique greffée sous la peau.

Il y a cependant, en amont de cet univers de gadgets ou d'interfaces multifonctionnels, une idée de base très rationnelle : un propriétaire de réseaux de diffusion souhaite avoir le plein contrôle sur de larges sources d'approvisionnement en contenus et en services, sans lesquels ses réseaux forts coûteux à développer et à maintenir n'auraient rien à offrir. Et réciproquement, un producteur de contenus et de services souhaite avoir un contrôle de propriétaire sur ses réseaux de diffusion. En outre, il est nécessaire de grossir pour tenir sa place dans la compétition internationale et échapper à la chaîne alimentaire des prédateurs. Mais la convergence n'est encore de fait aujourd'hui qu'une vue de l'esprit limitée le plus souvent à une intégration financière de propriétaire, à un panier de fruits juxtaposés. L'intégration horizontale des réseaux entre eux et celle, verticale, des contenus et des réseaux est encore entièrement à bâtir! Et il s'agit là d'un énorme défi, à supposer même que ce soit réalisable.

L'effondrement récent du NASDAQ est-il significatif d'un doute sur la réussite financière de cette idée de convergence? Les pertes spectaculaires de valeur boursière des multinationales du secteur numérique nous annoncent-elles le retour du principe de réalité après une période de rêve fusionnel?

Ce qui est possible techniquement ne l'est pas nécessairement du point de vue commercial, car la technologie va plus vite que les idées et les usages sociaux. On ne peut croire que les marchés soient le produit direct et immédiat des changements technologiques. Il faut passer du couplage machine-homme à l'analyse plus fine de l'offre de service par rapport aux attentes du client.

Nous retrouvons ce mythe de la convergence dans la croyance en la mondialisation uniformisatrice et même dans la nouvelle idéologie scientifique. On parlait il y a 20 ans de l'extrême spécialisation nécessaire dans la recherche scientifique; et en même temps on tentait de compenser cette fragmentation du savoir par la multidisciplinarité. Aujourd'hui on parle plutôt de transversalité des sciences (Edgar Morin). Le nouveau concept de sciences de la vie est le modèle par excellence de cette convergence, associant les bio-technologies, l'informatique, l'intelligence artificielle, la robotique, la chimie, la génétique, la médecine, l'agro-industrie, l'écologie humaine et animale, l'astrophysique, les nouvelles énergies et même les nouveaux matériaux, etc. Le mythe de la convergence rejoint ici le mythe rassurant de l'unité du savoir et de l'univers.

Le succès populaire du mythe tient aussi aux technologies numériques elles-mêmes, qui en fondent le principe et nous invitent à un rêve de domination de l'homme sur son environnement. Car le cyber-monde prétend pouvoir réaliser nos désirs les plus fous de puissance, dans un univers de gadgets qui nous annoncent l'accomplissement de la création de l'univers mis à la main de l'homme. L'espace virtuel apparaît de plus en plus comme un espace fabuleux. Il est un lieu d'efficacité immédiate. Il a une texture étrange, ou plutôt, il n'a pas de texture. Il se donne immédiatement, dans sa totalité, comme une fluidité lisse, euphorique et circulaire, sans résistance. Il n'y a pas de classe sociale dans le cybermonde, pas de riches ni de pauvres, pas d'obstacle. Le cyberespace est apolitique et résorbe toute objection. Rien ne doit s'y opposer au clic divin du cyber-homme.

Le téléphone cellulaire branché Internet, véritable ordinateur miniaturisé, en est la baguette magique. Il constitue à coup sûr l'exemple le plus prometteur d'une multi-fonctionnalité puissante. Il ira chercher en ligne ses logiciels et ses contenus d'affichage et répondra à de multiples usages. Il tend à devenir l'interface universel et fusionnel de l'homme branché au cybermonde.

En fait, même si nous sommes encore loin de cette compatibilité ou unification espérée des technologies numériques, nous pouvons admettre qu'elle est possible, et même probable dans un avenir assez rapproché, et permettra de connecter entre eux les médias. Dès lors, nous recherchons dans les croisements potentiels entre eux les niches de profit liées à l'innovation technologique. Et nous investissons sans hésitation dans cette économie imaginaire, ou i-conomie , sans doute aussi naïve que prometteuse.

Pourtant cette convergence technique, le jour où elle sera réelle, n'aura d'avenir commercial que si elle apprend paradoxalement à reprendre en compte la diversité et les spécificités des médias et des cultures et cesse de tout simplifier dans un élan de pensée naïve. Ainsi, il est illusoire de prévoir reprendre et diffuser les contenus des journaux sur les petits écrans de téléphone cellulaire. Cela coûterait une fortune de repenser le format, les logiciels d'affichage et de recherche, le design, et d'adapter les contenus au petit écran. Et sauf pour certaines informations de type utilitaire, cela ne correspondra probablement pas à la demande du marché avant longtemps. De même les projets de Web-TV sont très problématiques, tant est grande l'opposition entre les médias TV (média de flux, proposant la consommation passive et collective, le plaisir) et l'Internet (média de stock impliquant la pro-activité individuelle, le travail, la difficulté). Il est régressif d'appliquer les modèles de la TV à l'Internet. Et il n'est pas plus censé de vouloir faire de la télévision sur Internet que du cinéma au théâtre, ou de l'Internet à la télévision que de la radio à la télé. Ces industries et ces médias ne concernent pas les mêmes publics, ni les mêmes usages sociaux, ni les mêmes contenus, ni les mêmes journalistes, même si le tout est numérique. Contenus, esthétiques, programmation, publics et journalistes sont différents. Le numérique n'y changera rien. Même dans les industries toutes numériques, l'avenir est dans la recherche des vertus spécifiques et différentielles de chaque média. Il faut s'attendre si non à de grandes et douloureuses désillusions.

 

Hervé Fischer est titulaire de la chaire Daniel Langlois de technologies numériques à l'Université Concordia de Montréal et auteur de Mythanalyse du Futur, publié sur Internet à www.hervefischer.montreal.qc.ca, (330 p.).

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