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POST-LITTÉRATURE ?

Par Hervé Fischer,
Auteur de Mythanalyse du futur, sur Internet à www.hervefischer.ca (2000), Le choc du numérique (vlb, 2001), Le romantisme numérique (FIDES et Musée de la civilisation, 2002), L'âge du numérique (collectif, Presses de l'Université Laval, 2002), CyberProméthée (vlb 2003).

À l'âge du numérique, peut-on parler de l'avènement des cyberécrivains et de la mort de la littérature, ou d'une post-littérature, comme on évoque de plus en plus souvent après la postmodernité, la posthistoire, et la posthumanité?
Dès 1984 j'eus l'occasion de préparer la réalisation canadienne et québécoise du premier roman télématique écrit à distance par huit écrivains francophones : Jean-Marie Adiafi d'Abidjan, Louis Caron de Montréal, Abdelaziz Kacem de Tunis, Florence Delay de Paris Jacques Lacarrière de Villeneuve-les-Avignon, Jacques Savoie de Moncton, Sony Labou Tansi de Brazzaville, Bertrand Visage de Rome, et le poète, cinéaste, illustrateur Herménégilde Chiasson de Moncton. Réalisé en 1985 grâce à des modems encore rudimentaires, le projet consistait à demander à chaque écrivain de créer un personnage, puis, à partir du choix de l'un d'entre eux par Umberto Eco et Italo Calvino, d'écrire un chapitre, à nouveau choisi chaque jour parmi les huit propositions pendant 8 jours successivement. J'envoyais à Hermenegilde Chiasson à Moncton le texte retenu pour qu'il dessine sur le MacPaint de son MacIntosh 512 K un dessin. Et dès réception, - tout le processus se faisant à distance grâce à ces premiers modems qui s'allumaient comme des sapins de Noël, selon l'expression de Louis Caron, dès qu'ils entraient en communication -, j'allais porter (en bicyclette) la disquette au journal Le Devoir, qui le publiait chaque jour en première page. Nous étions nous-mêmes tous étonnés, les écrivains comme moi-même, de pouvoir rejoindre ainsi quotidiennement, parfois non sans de grandes difficultés, il est vrai, des auteurs même situés en Afrique. Mais le miracle survint finalement pendant chacune de ces dix journées de 1985. Dire que le livre qui fut publié à la suite de cette expérience de création littéraire télématique à huit écritures, fut un chef-d'œuvre littéraire, serait excessif. Il s'agissait bien d'une première expérience d'écriture en ligne, d'une œuvre ouverte - selon la thématique chère à Umberto Eco -, et dont la disparité de styles et de visions ne saurait cependant nous dissimuler la qualité de beaucoup des fragments d'écriture ainsi assemblés.
Puis au Salon du livre de Montréal de la même année, grâce à l'accueil de son président, l'écrivain Jean-Yves Soucy, j'eus le plaisir d'organiser sous le thème Chacun de nous pourrait être un écrivain, un Atelier d'écriture collective. Une série d'ordinateurs étaient à disposition des visiteurs pour écrire sur place des textes d'une page sur un thème proposé quotidiennement, aussitôt affichés sur les murs et assemblés électroniquement. Au fil des années, je me suis davantage tourné vers les arts multimédia numériques, non seulement dans mon propre travail, mais aussi en fondant avec ma compagne Ginette Major en 1985 la Cité des arts et des nouvelles technologies de Montréal, qui organisa annuellement les expositions Images du futur dans l'ancienne gare maritime du Vieux-Port de Montréal, puis en créant le premier Café électronique et divers autres événements liés à l'essor des technologies numériques.
Revenu à l'écriture, je n'ai pas douté un instant, je l'avoue, de l'importance de la révolution culturelle à laquelle nous invitaient les nouvelles technologies, en publiant en 2000 sur Internet, d'un clic et d'un seul, un essai de plus de 300 pages consacré à la Mythanalyse du futur. Après en avoir écrit le texte pendant deux années sur l'écran de mon ordinateur, n'était-il pas plus logique et plus simple de mettre directement en ligne ce " manuscrit " sur mon site Internet, sans passer par les contraintes et les lenteurs d'une maison d'édition et de rêver de rejoindre ainsi de façon immédiate, gratuitement, à toute heure et en tout lieu, tous mes lecteurs potentiels, bien au-delà du Québec ? N'était-il pas fascinant d'espérer créer ainsi un livre ouvert et évolutif, que je pourrais chaque jour retravailler, augmenter, améliorer au fil des courriels de mes cyberlecteurs ou de mes propres réflexions? Et de publier en parallèle sur mon livre-site les commentaires de mes cyberlecteurs? Aucun libraire ne le renverrait à l'éditeur; aucun éditeur ne le jetterait au pilon pour libérer son entrepôt après une courte vie sur les tablettes commerciales. Voilà des années que mes livres des années 70 ou 80 ne sont plus disponibles en dehors des bibliothèques publiques.
Force fut cependant de constater, après quelques mois d'euphorie et d'échanges électroniques fervents, que mes lecteurs étaient rares, même parmi mes commentateurs attentifs, à avoir lu tout le livre. Je dus admettre aussi que personne ne lit plus de deux pages sur un écran cathodique, et que personne n'est enthousiaste à l'idée d'aller acheter une rame de papier et une cartouche d'encre pour imprimer un manuscrit (qui fit bientôt 330 pages) sur une petite imprimante multipoints : cela prend deux heures et plus, et produit sur le plancher dans le désordre un tas informe de feuilles difficiles à manipuler. Rien n'est plus dissuasif, il faut l'admettre, que le résultat archaïque sur votre plancher d'une technologie qui s'annonce si performante et futuriste. Le plaisir de la lecture que nous donnent les livres traditionnels n'existe plus. Ajouter une reliure? Une grosse pince? L'objet perd de toute façon tout attrait, toute séduction et toute sensualité.
Je dus admettre que les critiques des journaux, déjà submergés quotidiennement de livres qu'ils ne trouvent pas le temps de lire, n'ont manifestement pas envisagé une seconde le rituel laborieux d'une telle impression et m'ont gardé toute leur estime sans me lire, ni commenter mon livre auprès de leurs lecteurs. Et mon réseau Internet personnel, au bout de quelques mois, finit par s'épuiser. Je me surpris donc à redécouvrir les mérites des livres traditionnels, à reconsidérer leur perfection technologique, aboutissement de siècles de diverses inventions, et même à regretter les tablettes des libraires indifférents...
Quand j'appris quelques mois plus tard que même Stephan King, le plus populaire des auteurs américains, renonçait à diffuser ses romans policiers en feuilletons sur Internet, je compris que mon rêve était intenable. L'Internet est sans doute un bon moyen pour quelques libraires virtuels, tels Amazon.com ou Barnes & Noble de mettre en ligne des catalogues de livres qu'on peut se faire envoyer aisément part la poste; mais ce n'est à coup sûr pas le bon médium technologique pour diffuser le manuscrit d'un livre, même gratuitement. Une nuance s'impose : lorsque les éditeurs offriront en ligne les manuscrits des livres épuisés, contemporains ou anciens, qu'on ne peut plus se procurer, et lorsqu'on pourra, chez notre libraire habituel, faire imprimer et relier de façon simple et rapide un livre absent du marché, chacun pourra admettre que l'objet disparu et donc tant désiré trouvera à nos yeux un attrait nouveau considérable, aussi frustre que puisse en être impression et reliure. Et une suggestion : nos chers éditeurs devraient garder avec soin les éditions électroniques des livres qu'ils ont publié, pour en maintenir la disponibilité auprès du public même lorsqu'ils auront disparu du marché sans être réédités. Je ne doute pas que cette pratique s'impose bientôt à tous.

Pourtant, pour faciliter cette diffusion, j'avais renoncé à tous les avantages des technologies numériques, me contentant d'un simple texte formaté selon les logiciels les plus courants et n'impliquant pour y accéder ni ordinateur coûteux, ni logiciel rare ou cher, ni plug in dissuasif qu'il aurait fallu télécharger. J'avais choisi, si je puis dire le standard électronique le plus banal et sans qualité qu'on pourrait comparer à celui du livre de poche dans l'édition papier. Le prodige du numérique, je le savais bien, c'est beaucoup plus que le traitement de texte qu'utilisent désormais tous les écrivains ou presque: j'avais donc renoncé, en toute conscience de la contradiction que j'assumais, aux images, aux sons, au mouvement, à l'interactivité, à l'arborescence, au feuilleté, à l'arabesque qui sont précisément les vertus nouvelles des technologies numériques multimédia et peuvent donner à un manuscrit une valeur ajoutée fabuleuse. Je dus admettre que le Web et le livre sont deux médias de nature fort différente et que la notion même de livre électronique pose un problème fondamental, pour ne pas dire que leurs natures sont opposées
Je fis donc mon chemin de Damas, revenant pour mes livres suivants frapper humblement à la porte des éditeurs que j'avais cru d'abord pouvoir snober. Mais la difficulté, voire l'impasse rencontrée méritaient une réflexion plus sérieuse. Car j'étais effrayé à l'idée de devoir relever le défi des technologies multimédia, pour aborder désormais, comme y invite la convergence numérique, non seulement l'écriture, mais aussi les images, le mouvement, la musique… et la programmation informatique que tous ces talents impliquent. De simple écrivain, j'aurais dû devenir homme orchestre, cumulant les talents d'un musicien, d'un cinéaste, d'un performeur, d'un coloriste, capable de produire finalement une œuvre totale, dont les exigences ou l'ambition quelque peu utopiste n'auraient plus eu de commune mesure avec les exigences de la littérature. De simple écrivain, les technologies multimédia semblaient impliquer que je devienne un créateur fort différent, beaucoup plus proche du spectacle multimédia que de l'écriture.

Cela constituait-il non seulement un défi impossible, mais aussi cependant une évolution souhaitable pour la littérature? Rien n'est moins sûr, à moins de croire que le progrès existe en art et en littérature, et que l'accumulation des médias garantirait la création d'une œuvre supérieure à celle que permet la simple écriture à la main. Qui croira cependant qu'une œuvre de Camus ou de l'école du nouveau roman, pratiquant ce qu'on a appelé le degré zéro de l'écriture, ou simplement une œuvre sur papier, est nécessairement pauvre et médiocre en comparaison d'une écriture multimédia qui multiplie les technologies, la puissance, la vitesse et les effets spéciaux? La question est vite réglée : il est important que des écrivains abordent les univers des technologies numériques, de l'Internet et des mondes virtuels, mais l'accumulation des technologies d'expression ne garantit en aucune façon la pertinence du propos, la qualité de l'esthétique, voire même la puissance de l'imaginaire et des émotions. L'art numérique ne saurait prétendre constituer un progrès artistique par rapport à l'art pauvre, ou à l'écriture à la plume d'oie. L'essentiel de la création littéraire ou artistique ne réside pas dans les médias, qui peuvent varier, mais dans la puissance et l'originalité de la vison de l'écrivain. S'il est capable de s'asservir à des technologies multimédia complexes sans se perdre, il est sans doute un nouveau génie; mais Proust-Picasso-Berlioz-Cunningham-Visconti n'est pas prêt de naître. Nous rencontrons là une chimère, et sans doute le mythe de l'unité des arts et des langues.

Plus encore, la littérature et le multimédia n'ont sans doute pas grand point commun, voire cultivent des vertus opposées. La littérature appelle le silence et l'immobilité du corps, pour mieux libérer l'imaginaire et la pensée. Un livre se présente comme un lieu de repos, alors qu'un écran cathodique nous offre une piste de danse. Un mot dans le texte d'un livre est

Mot abstrait (phonétique/ pictogramme
Le texte comme objet. C'est plus qu'un retour à l'oralité.
Mot-image , mot-spectacle (Guy Debord) calligrammes, Mallarmé, poètes
Le mot qui bouge et non l'œil qui bouge (lit)
Mouvement, éphémérité
Espace-temps linéaire = espace-temps ouvert, en arabesque, multipolaire, chaos
Le temps demeure important. Einstein, Hawking, la flèche du temps Prigogine. Enlever le temps est-il possible en littérature?
Lecture linéaire = lecture en arabesque
Regard latéralisé
Rationalisme = obscurantisme
Les deux

Âge du numérique Notre situation privilégiée : Les pieds dans les livres, la tête dans le cyberespacePost-littérature. L'écrivain doit-il migrer dans le cyberespace?
Lecteur/auteur?

Non la littérature a encore beaucoup à nous dir., La peinture n'est pas disparue avec la photo, la radio avec la télé, le cinéma avec la télé. Culture de la littérature. Ses spécificités, son évolution, Suivre avec passion la naissance du 8e art - les arts numériques, qui seront autre chose que la litt+la musique+etcé Pas cumulatif, mais différent, pas un +++. Nlle esthétique à inventer
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